Un an après le séisme du Teil, les sismologues Christophe Larroque, Jean-Francois Ritz, Laurence Audin, Matthieu Ferry, Stéphane Baize font un point très complet dans un article d'Elsa Couderc dans the conversation du 16 décembre 2020
Christophe Larroque, Université de Reims Champagne-Ardenne (URCA); Jean-Francois Ritz, Université de Montpellier; Laurence Audin, Institut de recherche pour le développement (IRD); Matthieu Ferry, Université de Montpellier et Stéphane Baize, Institut de radioprotection et de sûreté nucléaire (IRSN)
Il y a un an, le 11 novembre 2019 à 11h52, la région de Montélimar était fortement secouée par un tremblement de terre de magnitude 5,4.
Avec plus de 700 bâtiments sérieusement endommagés et quatre blessés, ce séisme ressenti dans tout le sud-est de la France est le plus destructeur en métropole depuis celui d’Arette dans les Pyrénées en 1967. Cette région, en bordure de la vallée du Rhône, est particulièrement sensible du fait de la présence de plusieurs agglomérations et de grandes installations industrielles : barrages, centrales nucléaires, axes routiers, ferroviaires et fluviaux.
Ce séisme nous pousse à ré-évaluer le risque sismique en France métropolitaine : il faut d’une part désormais prendre en compte ce type de séisme très superficiel, capable de produire des mouvements forts du sol ; et d’autre part intégrer la possibilité de rupture de surface, c’est-à-dire d’une cassure permanente du sol, qui présente un danger particulier pour les installations sensibles.
Un séisme peu profond et un décalage du sol très net
Quelques dizaines de minutes après le séisme, on savait que l’épicentre était localisé près du village du Teil, avec un foyer (la zone d’initiation de la rupture en profondeur) très peu profond, entre un et trois kilomètres sous le sol, ce qui explique la forte intensité des mouvements du sol et, par conséquent, l’ampleur des destructions. En effet, les ondes sismiques produites au foyer ont parcouru une faible distance avant d’arriver en surface et leur énergie a été peu atténuée.
Dès l’après-midi, les premières équipes de sismologues partaient installer des capteurs sur le terrain pour enregistrer les répliques – ce sont des secousses de plus petites magnitudes qui suivent systématiquement un séisme important. Le lendemain, les images radar prises par satellite et leur analyse par « interférométrie radar » mettaient en évidence des décalages verticaux de la surface du sol dépassant dix centimètres.
Pour les géologues, deux observations émergeaient donc : d’une part, le foyer du séisme est très peu profond ; d’autre part, les zones de décalage vertical du sol vues avec le traitement des images radar sont alignées de façon presque rectiligne. Ces observations sont très importantes car elles suggèrent que la partie de la faille qui a rompu lors du séisme (rupture dite « cosismique ») a atteint la surface, ce qui, pour un séisme de cette magnitude, est un événement très rare. Si rare qu’à la date du séisme du Teil, aucune rupture cosismique indiscutable à la surface du sol n’avait encore été décrite en France métropolitaine.
La formation d’une « marche » à la surface
Les décalages verticaux repérés par interférométrie radar s’alignent le long d’une direction nord-est/sud-ouest correspondant à une faille plus ancienne, la faille de la Rouvière. Leur analyse indique le soulèvement du compartiment situé au sud. Le 13 novembre, une équipe de plusieurs laboratoires français sont partis à la recherche de potentielles ruptures de surface. Malgré les difficultés de terrain, liées à la végétation et des reliefs accentués, plusieurs indices de rupture de la surface du sol furent découverts, certains montrant des décalages verticaux entre 2,5 et 15 centimètres.
Ces mesures montrent elles aussi que le compartiment sud de la faille s’est soulevé, et leur distribution attestent qu’elles sont bien la conséquence de l’arrivée en surface de la rupture cosismique associée au séisme.
Une faille ancienne… mais toujours active
Ces observations sont inédites. C’est la première fois qu’une telle rupture « cosismique » – la rupture de la faille lors du séisme – est observée en surface et « en direct » en France. Très peu de cas sont par ailleurs attestés dans le monde pour des séismes de magnitude inférieure à 5,5.
La faille de la Rouvière, sur laquelle s’est produite le séisme du Teil, est une faille ancienne qui n’était pas cartographiée comme étant active, c’est-à-dire susceptible de produire un tel événement.
Elle mesure une dizaine de kilomètres de long et elle constitue l’un des segments nord du grand système de failles des Cévennes, qui s’étend sur plus de 120 km entre Lodève et Valence. Les derniers mouvements importants sur la faille de la Rouvière remontent à la période oligocène, entre 35 et 25 millions d’années. Pendant l’Oligocène, cette faille a fonctionné comme une faille de type « normal » dans un régime tectonique en extension, contemporain l’ouverture de la mer Méditerranée occidentale. Les mouvements le long de la faille ont alors entraîné l’affaissement de la vallée du Rhône par rapport à la bordure ardéchoise.
Les mouvements de la faille de la Rouvière se sont inversés
Or lors du séisme du Teil, il s’est produit un soulèvement du compartiment sud. Le séisme de 2019 indique donc que le mouvement le long de la faille de la Rouvière s’est inversé.
L’inversion des failles est un processus connu dans l’évolution des grands dispositifs géologiques. Dans le cas présent, la faille de la Rouvière a fonctionné avec un sens « normal » dans la période ancienne, c’est-à-dire que le bloc situé au Sud de la faille descendait par rapport au bloc situé au Nord, puis récemment son sens de glissement s’est inversé et le bloc sud monte le long du plan de faille par rapport au bloc Nord.
Le séisme du Teil est, de ce point de vue aussi, particulièrement intéressant, car il illustre « en direct » l’inversion d’une faille normale, et par conséquent le changement de régime tectonique.
Depuis les années soixante, on pensait pouvoir expliquer assez simplement les séismes de la région par la convergence entre les plaques Afrique et Europe, qui génère des forces vers le nord depuis la limite de ces plaques située au sud de la Méditerranée. Cependant, les observations et les modélisations effectuées depuis une vingtaine d’années remettent en cause ce mécanisme univoque : il apparaît que des processus locaux, par exemple l’érosion, la fonte des grands glaciers alpins il y a 15 000 ans, ou encore la circulation de fluides dans la croûte terrestre soient aussi des processus capables de produire des séismes.
Les actions humaines à la surface de la Terre sont aussi discutées comme responsables potentielles du déclenchement de séismes. Dans le cas du Teil, l’extraction d’une grande masse de roches dans une carrière située au-dessus de la faille pourrait être à l’origine de l’événement.
En bref, l’origine des forces produisant des séismes « intraplaques » en Europe occidentale n’est pas encore clairement comprise et fait l’objet de nombreuses recherches.
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Explorer le passé pour mieux comprendre le présent et l’avenir
Les paléosismologues décryptent les tremblements de terre passés. Dans ce cas, ils étudient la faille de la Rouvière et les autres failles qui constituent cette partie du réseau de failles des Cévennes dans le but de déterminer si elles avaient déjà produit des ruptures de surface au cours des 2 derniers millions d’années. Ils analysent si des déformations associées à des séismes (par exemple des fissures, ruptures avec déplacements, plis, basculements) affectent les couches sédimentaires les plus récentes (comme les éboulis de pentes, alluvions fluviatiles, sables) au niveau de tranchées qu’ils creusent au travers des failles.
Ils cherchent ainsi à déterminer les âges et les déplacements produits par ces déformations, afin d’estimer la fréquence et la magnitude des séismes anciens. En faisant alors l’hypothèse que le comportement actuel d’une faille est proche de son comportement passé (principe de « l’actualisme »), les données paléosismologiques permettraient de discuter la probabilité qu’une faille produise un séisme sur une certaine période de temps.
Espérons que les travaux en cours dans la région du Teil fourniront suffisamment de données pour parvenir à faire cette évaluation du risque sismique sur cette partie du système de failles des Cévennes.
Christophe Larroque, Maitre de Conférences, Université de Reims Champagne-Ardenne (URCA); Jean-Francois Ritz, Directeur de Recherche CNRS, Université de Montpellier; Laurence Audin, Directrice de Recherche Sciences de la Terre, Institut de recherche pour le développement (IRD); Matthieu Ferry, Maître de Conférences en Géomorphologie, Université de Montpellier et Stéphane Baize, Chercheur en géologie des tremblements de terre, Institut de radioprotection et de sûreté nucléaire (IRSN)
Cet article est republié à partir de The Conversation sous licence Creative Commons. Lire l’article original.